L'objectif de ces lettres ouvertes est de pouvoir faire comprendre à nos proches (vous qui nous lisez) ce par quoi nous passons lorsque nous vivons un parcours PMA (les épreuves, nos émotions, nos attitudes rationnelles et parfois irrationnelles aussi...).
C'est aussi vous faire passer un message avec toute notre bienveillance pour vous "aider" à savoir comment se comporter avec nous, pour vous "aider" à comprendre comment adapter vos mots face à nous, pour vous "expliquer" comment nous soutenir quand nous en avons besoin.
Ces lettres ont été rédigées par des femmes en parcours PMA dont chaque histoire est unique et révèle des maux qu'elles ont exprimé par leurs propres mots. Toutes ces lettres sont dictées par l'amour. Elles reflètent la réalité de nos vies, soyez indulgents, nous vous livrons une partie de nos âmes dans l'espoir de lever certains tabous et de libérer nos paroles communes.
Une histoire d’amour.
À mon sens, il n’existe plus beau projet que celui de donner la vie.
Plus fantastique que de se dire que l’on aime tellement fort une personne que l’on est prêt à partager avec lui, avec elle, cette aventure incroyable d’amener un petit être dans ce monde et l’aider à grandir coûte que coûte, même quand ce monde nous semble fou.
J’ai beaucoup de tendresse et de respect pour cela, certainement parce que j’aime aussi profondément les enfants, leur innocence, leur gentillesse, leur amour inconditionnel. Depuis toujours, même lorsque j’étais moi-même une enfant.
Apprendre que l’on n’aura pas d’enfant naturellement c’est une chose, déjà difficile, parce qu’il n’y aura pas de « on fait l’amour et paf on a enfant », parce que ça deviendra un acte quasi-chirurgical ou même carrément chirurgical, parce qu’on laisse entrer la médecine dans ce que l’on a de plus intime et de plus viscéral, le souhait de faire un enfant. On se sent trahi par la nature, impuissant, vulnérable, différent.
On assiste dans le désespoir le plus profond aux annonces de grossesses, aux naissances, aux familles qui se créent et s’agrandissent et on a l’impression d’être laissés au bord du chemin.
On entend tout et n’importe quoi, des « vous en avez déjà une au moins », ce n’est sûrement pas ce qu’on dirait à quelqu’un qu’on ampute d’un bras, n’est-ce pas ? Alors ne le dites pas non plus aux infertiles.
On entend des horreurs aussi « la PMA c’est pas naturel », « c’est peut-être que Dieu ne veut pas », « on ne transmet pas des tares génétiques ». Le cancer non plus ce n’est pas naturel, pourtant on tente quand même de le soigner non ?
On apprend une nouvelle langue, celle de la PMA, des termes presque écrits en hiéroglyphes, dont on ignorait le sens et qu’on aurait voulu ne jamais connaître.
Personne ne nous dit « bienvenue en PMA, suivez le guide » parce que c’est tout sauf quelque chose d’aisé, de tranquille ET que c’est différent pour chacun. Ce n’est pas juste un prélèvement de sperme, juste une stimulation hormonale, juste un acte de replacement d’un embryon.
C’est une autre vie.
Ce sont des semaines de préparation, de médecines douces, de rendez-vous médicaux avant d’être opérés, pour peut-être trouver des gamètes. Puis des semaines d’examens dont une radiographie de l’utérus et des trompes en injectant un liquide alors qu’un petit ballon ouvre le col de l’utérus et qui répond au doux nom d’hystérosalpingographie. Barbare, jusqu’au nom. Des heures à courir les pharmacies pour s’entendre dire « je vous en donne que pour une fois ou plusieurs ? Parce que ça ne marche quasiment jamais la première fois quand même »… Puis des semaines à se faire piquer le ventre par des infirmières parce que par-dessus le marché, vous être phobiques des piqûres ! C’est con parce qu’en plus des hormones, il y a les prises de sang pour voir si les celles-ci sont suffisamment dosées… Bien sûr elles ne le sont pas, donc un peu de rab de piqûres au cas où. Le ventre est bleu, même l’infirmière n’ose plus vous regarder. Il pèse 15 kilos, on pourrait croire que vous êtes enceinte, c’est l’ironie de l’ironie ! Presque les blagues de notre enfance qui commençaient par « c’est quoi le comble pour un infertile… ?» Oui en PMA, on peut rire aussi.
Arrive la ponction ovarienne, après la biopsie testiculaire, c’est chacun son tour.
On vous dit 11 ovocytes, on ne sait pas tout de suite si on doit être déçu ou pas. On est dans la moyenne. En PMA être "dans la moyenne" c’est déjà une petite victoire.
Et là encore, 11 ovocytes, mais 9 matures, mais 6 fécondés, mais trois qui tiennent 5 jours et qui sont donc viables pour être replacés dans l’utérus.
Sur les trois on ne sait jamais d’avance s’ils tiendront à la décongélation (qu’on appelle dévitrification), s’ils tiendront dans l’utérus et s’ils tiendront jusqu’à une naissance.
Rappelez-vous en PMA ce n’est jamais fini ! Donc pas de transfert d’embryon tout de suite, vous devez attendre un peu plus parce que les hormones qui marchaient trop doucement au début, ont trop bien marché sur la fin, vous risquez l’hyperstimulation c’est comme un épanchement pleural mais dans l’utérus… fun !
La PMA finalement ce sont des montagnes russes.
Et j’ai autant détaillé cette petite partie de notre parcours pour que l’on comprenne bien que quand on nous dit « n’y pensez pas » ou « changez-vous les idées », figurez-vous qu’on adorerait pouvoir mais qu’on ne peut pas.
Ceux qui ont eu des enfants naturellement le savent déjà, à partir du moment où on décide d’avoir un enfant, on voit des femmes enceintes et des bébés partout et on trouve ça trop mignon et on a trop hâte.
La PMA c’est comme si on vous mettait le fruit de votre désir tous les jours sous les yeux, pas si loin, pas si impossible, vous pouvez même le toucher parfois mais vous ne l’attrapez pas … en tous cas pas tout de suite.
Parce que quand on peut enfin vous transférer l’embryon, vous avez neuf à quinze jours de flottement avant de pouvoir savoir si l’embryon a décidé de s’accrocher ou non. Si votre utérus a trouvé qu’il était assez bien pour rester là, ou si l’alignement des planètes n’était pas prévu sur ce cycle.
Nous ça n’a pas été la première fois.
Ça a fonctionné la seconde… pour aboutir sur une fausse couche.
La fausse couche c’est la trahison de la PMA.
Parce que vous avez déjà vécu plein de choses, vous avez votre prise de sang et même vos prises de sang positives, vous prenez scrupuleusement vos hormones et vous attendez sagement d’être à trois mois de grossesse, les trois mois les plus longs que vous ayez vécu, enfin j’imagine parce que moi à six semaines c’était plié.
Le monde s’effondre, même s’il reste pourtant debout, il fait nuit en plein jour, on est sonnés, giflés, étalés sur le sol.
Parce qu’on s’est autorisé à croire qu’on était passé de l’autre côté et que tout à coup on est ramenés à la frontière manu militari, sans passage par la case départ.
Alors entrez dans ce monde quelques secondes, quelques minutes.
Notre vie est tellement impactée que pendant un bon mois un étage entier de notre frigo était squatté par des ampoules d’œstrogène et de progestérone, que nos vacances ont parfois été reportées, arrêtées, calculées en fonction de cycles, par une fausse couche, par une intervention qui ne pouvait être reportée parce que sinon on perdait quatre mois.
Je ne veux pas faire dans le misérabilisme, nous n’avons besoin de la pitié de personne, juste de bienveillance et de compréhension.
Bien sûr que les annonces de grossesse nous ouvrent de la tête au pied et nous brisent. Mais, pas parce que nous ne pensons qu’à nous et en voulons à l’autre. Parce que cela nous rappelle que nous n’avons pas cette chance incroyable, même si nous essayons très fort, même si nous mettons tout l’amour du monde dans ce projet, même lorsque parfois ça fonctionne pour mieux échouer.
Mais nous restons humains, nous pouvons continuer à faire la fête, à rire, à avoir d’autres projets même professionnels.
Souvent c’est un sujet dont nous avons besoin de parler, nous en parlons peut–être trop, trop souvent surtout moi. Alors je vais citer un extrait d’une chanson des Brigitte qui fait écho à cette douleur sourde :
« Connaissez-vous la peine d'une femme qui rêve d'être mère? » et même si je le suis déjà, cela ne signifie pas que je n’ai pas envie de l’être encore.
Il faut avoir les reins solides pour supporter les « baby boom » post confinement, les blagues en avril de « fausses » annonces de grossesse, les annonces détournées parce que personne n’a osé vous le dire à vous les infertiles, les repas auxquels vous n’êtes pas invités parce que unetelle est enceinte et qu’on ne veut pas vous mettre en face, les « amis » qui disparaissent de peur que ce soit contagieux peut-être, la famille qui n’en parle jamais et qui nie votre souffrance parce que « la PMA c’est contre nature ».
Mais au fond je sais, je sais combien notre amour vaincra d’une façon ou d’une autre. Je sais qu’il ne fait que s’enraciner encore plus profond grâce à cette épreuve, qu’il se décuple, qu’il grandit, nous unit, nous soude.
Nous nous regardons avec respect, patience, douceur, parce que nous savons l’un et l’autre combien nous pouvons souffrir et nous battre, main dans la main, à deux, à trois, jusqu’à pouvoir être quatre.
La PMA c’est une histoire d’amour, la nôtre mais aussi celle de tant de couples qui n’ont juste pas eu de chance au loto de la vie et qui se battent, blessés et meurtris pour survivre jusqu’à donner la vie.
Ils en auront fait des sacrifices, ils auront surclassé la résilience, mais existe-t-il de plus beau combat, des personnes qui connaissent autant le prix de donner la vie ?
La PMA c’est la quintessence de la parentalité, parce que nous sommes parents dans cette bataille vibrante bien avant de donner la vie.
Dans ce trimestre de tant de mois, qui précède la grossesse ou l’arrivée d’un enfant, ou le choix d’arrêter le combat, nous sommes déjà parents nous aimons déjà cet enfant que nous espérons tant.
Alors à vous, nos amis, notre famille, ne détournez pas le regard, n’évitez pas le sujet, ne nous jugez pas, ne nous jetez pas de la pitié, soyez ce que vous avez toujours été, ce que l’on attend d’un ami, d’un parent, d’un frère... soyez ce soutien indéfectible, ces prières unies, ce petit message qui s’enquiert de notre parcours, même maladroit, même un mauvais jour.
Nous avons besoin de vous aussi pour y parvenir ou au moins pour tenir, pour ne plus nous dire « pourquoi nous » mais « bientôt nous », pour célébrer ensemble l’amour qui nous unit et la vie qui vient.
Pour cet enfant qui nous ressemblera….
Clémence.
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